par Saeed Mirza, MACG, professeur émérite de génie civil à l’Université McGill et ancien Président de la Société canadienne de génie civil. Une version de cet article a été publiée dans le National Post le 18 janvier 2014.
Le ministre Lebel et le gouvernement du Canada se sont engagés à juste titre afin de construire un nouveau pont Champlain esthétique d’ici 2018. La structure aura une durée de vie d’au moins 100 ans, s’il est régulièrement entretenu. Compte tenu des besoins structurels, de l’environnement, de l’économie et de l’esthétique, deux ponts à haubans – un de Montréal jusqu’à l’île Notre Dame et le second de l’île Notre Dame jusqu’à la Rive-Sud, le déblaiement de la voie maritime du Saint-Laurent permettrait d’atteindre facilement les objectifs susmentionnés et il coûterait beaucoup moins cher que n’importe quel autre type de pont.
Inauguré en 1962, le pont Champlain a initialement été conçu entièrement en acier par l’ingénieur Hugh Pratley. Toutefois, le gouvernement progressiste-conservateur de l’époque est intervenu en divisant le projet en de plus petits contrats. Ils ont laissé la partie qui surplombe le Saint-Laurent en acier, telle qu’elle avait été conçue à l’origine, tout en adoptant une version moins coûteuse, une alternative de conception française pour le reste du pont. Cette partie se composait de sept poutres en béton précontraint avec des semelles supérieures prolongées, remplies de béton moulé en place, et post-tendues ensemble pour former une unité intégrale munie de sept poutres et d’une semelle supérieure continue, ainsi que de diaphragmes pour une meilleure répartition de la charge entre les poutres. Malheureusement, cette solution ne permettait pas une maintenance de routine facile et il était très difficile et presque impossible de remplacer n’importe quel élément, comme une poutre. De plus, en raison de l’absence de drainage sur la superstructure qui n’avait pas été envisagée dans la conception originale, les poutres extérieures ont été très gravement endommagées par l’utilisation du sel de déglaçage pour la traction en hiver. Initialement, il était prévu d’utiliser des cendres pour la traction en hiver comme c’était le cas au Québec, à cette époque. En temps normal, il aurait été possible d’arrêter la circulation brièvement dans quelques voies durant la fin de semaine pour pouvoir remplacer la poutre. Cependant, la conception inhabituelle du pont a complètement éliminé cette option et ces poutres devaient être renforcées à un coût exorbitant à cause la conception adoptée suite à l’intervention du gouvernement.
Le pont Champlain actuel a été conçu avec une résistance béton spécifiée qui avait été jugée appropriée. Par contre, sa perméabilité (la facilité avec laquelle les solutions salines ou tout autre liquide s’infiltre dans le béton) n’avait ni été prise en compte dans les spécifications initiales ni fait l’objet d’une vérification. En raison du mauvais drainage, la solution saline a causé des dommages de corrosion importants aux poutres latérales, aux poutres d’extrémités, aux appuis, aux couvre-piliers et piliers, ce qui nécessite une réfection très coûteuse. Cela a occasionné de grandes réparations et des dépenses de remise en état dont le coût équivalait à plusieurs fois le coût original du pont Champlain qui était d’environ 30 millions $. Le coût de réparation de la super poutre à elle seule est estimé à environ 3 à 4 millions $. Il est donc impératif de changer d’approche. Contrairement à la pratique actuelle de réaliser la conception au plus bas coût de construction possible sans tenir compte de l’éventuel entretien et de la rénovation, les ingénieurs doivent concevoir toutes les infrastructures non seulement pour les coûts de construction initiaux, mais également pour leur entretien, les modifications nécessaires et la rénovation au cours de toute sa durée de vie. Ils doivent également fournir un plan d’entretien au propriétaire, comme c’est actuellement le cas pour les concessionnaires d’automobiles. Il serait sage que l’ingénieur planifie une vérification de l’intégrité structurale de mi-vie, de la même manière que plusieurs d’entre nous allons consulter nos médecins pour passer un examen complet quand nous atteignons l’âge de 45-50 ans.
Dans la planification de la nouvelle structure, nous ne devons pas répéter les erreurs passées commises au niveau de la conception, la construction et l’entretien du pont Champlain actuel, ainsi que les interventions imprudentes du gouvernement. La durée de vie annoncée de 100 ans nécessiterait une durée de vie théorique d’environ 150 ans pour l’état limite ultime (impliquant une traction et une durabilité minimales du système). Des outils sont actuellement disponibles pour s’assurer qu’un pont en béton bien conçu et construit en étant soumis à d’excellents contrôles de qualité, une bonne inspection et un entretien adéquat, puisse durer pendant environ 150 ans. Des barrières correctement installées ou des gaines de polymères renforcées de fibres qui ont la capacité d’empêcher ou du moins de ralentir considérablement la pénétration des substances nocives dans le béton peuvent facilement prolonger cette durée de vie à environ 200 ans.
L’utilisateur paie-t-il la totalité des coûts d’entretien, de réparation et de réfection du pont Champlain? Certainement pas directement. Le gouvernement du Canada finance ces activités en prélevant dans les impôts payés par le contribuable canadien. Par conséquent, ces coûts sont tout de même payés par l’usager, mais ils viennent d’une autre poche. En effet, les opérations liées à l’infrastructure sont lourdement subventionnées par les différents paliers de gouvernement; toutefois, le fait demeure que, finalement, c’est l’usager qui paie pour l’entretien et l’exploitation des infrastructures. Actuellement, l’amortissement des actifs d’infrastructure n’est pas considéré dans les coûts que débourse l’usager. En conséquence, une fois que l’actif lié à l’infrastructure atteint la fin de sa vie utile, les différents paliers du gouvernement se bousculent pour trouver une ou des sources de financement pour couvrir les coûts de remplacement. Comment le coût total de possession, de maintien, de fonctionnement, de démolition et d’élimination à la fin de la durée de vie sera-t-il payé? Présentement, c’est l’usager qui le paie soit directement par le biais des frais d’utilisation, soit indirectement par le gouvernement. La chose logique est d’accepter que l’usager doive payer tous les coûts impliqués, qu’ils soient techniques, environnementaux, économiques, sociaux et autres. Les gouvernements devront se décider à subventionner les usagers qui sont incapables de payer une partie du coût total. Cela inclut des péages sur les routes et les ponts. Par ailleurs, le gouvernement fédéral devrait envisager de céder plusieurs domaines fiscaux aux municipalités; les municipalités jouissent de seulement 8 % du dollar fiscal au Canada alors qu’elles possèdent et sont responsables de plus de 50 % de tous les actifs liés à l’infrastructure au Canada.
À une époque, il y avait des péages sur les ponts Champlain et Jacques et sur certaines routes du Québec, comme l’autoroute des Laurentides et l’autoroute est. Il y avait un péage sur le pont Victoria lorsque la structure en treillis a été mise en service en 1900. Dans le monde entier, de nombreux gouvernements en proie à des contraintes financières ont eu recours avec succès à des partenariats public-privé (PPP ou P3s), en vertu desquels l’entrepreneur privé finance, conçoit, construit et exploite le système pour une période convenue durant laquelle le coût du financement, de la conception, de la construction, de l’entretien, etc. est récupéré par l’entrepreneur. Ces frais sont payés principalement par l’usager par le biais des péages ou des frais d’utilisation. Le pont de la Confédération entre l’île du Prince Édouard et le Nouveau-Brunswick est un exemple d’un projet PPP. Quel que soit le mode de financement, en fin de compte, c’est l’utilisateur qui paie toutes les dépenses impliquées. Par conséquent, nous devons maintenir la politique à l’écart, prendre le taureau par les cornes et accepter les péages qui, avec d’autres fonds, permettront une bonne maintenance du pont pour qu’il puisse servir nos petits-enfants et leurs petits-enfants pour les 100 prochaines années et bien au-delà.